Cédric PIRONNEAU : « Dans l’étude d’une acquisition, il faut s’astreindre à trouver un effet multiplicateur ».

Créé en 2010 et actuellement classé parmi les premiers groupes de courtage « grossistes » d’assurance sur le marché français, SPVie a réalisé plusieurs opérations de croissance externe : dans ce nouvel article, Cédric PIRONNEAU revient sur leur expérience.

Pierre-Antoine AUBURTIN. Sur les quinze dernières années, SPVie a mené plusieurs opérations de croissance externe : avec le recul, quels sont les enseignements que vous en avez tirés ?

Cédric PIRONNEAU. Nous avons réalisé une première opération de croissance externe de taille modeste au bout de six à sept ans d’existence. Après 2020, nous avons réalisé quatre acquisitions importantes : Assurances de l’Adour (180 collaborateurs), OnVousAssure.com (70 collaborateurs), CGRM (90 collaborateurs) et ISA, la société d’informatique qui pilotait la solution technique de CGRM (10 collaborateurs).

La toute première opération, réalisée avant 2020, ne s’est pas bien passée : nous n’avons pas su intégrer les personnes, il y a eu un choc de culture que nous avions mal appréhendé. Cela s’est avéré être un échec. J’aurais dû le deviner.

Avec le recul, j’observe que plus la société achetée est de taille importante, plus c’est « facile », si on peut parler d’intégration facile. Mais il faut un temps d’observation qui ne doit pas être trop long. Après avoir racheté ces entreprises, nous les avons laissées fonctionner selon leurs propres modèles trop longtemps. Or, nous aurions dû faire un travail d’intégration plus fort, entrer plus vite dans l’organisation, les process et mettre en place des personnes clés, c’est une question de culture, de confiance, de reporting.

Nous avons appris en marchant. Pour l’une de ces entreprises, nous avions laissé un dirigeant avancer comme il le souhaitait, en confiance. Par la suite, ce dirigeant est parti avec plusieurs dizaines de collaborateurs… Nous n’avions pas osé nous imposer suffisamment tôt, de peur de « casser » la machine. A ne pas imposer ses collaborateurs assez tôt, nous l’avons payé par la suite.

Nous en avons donc retiré plusieurs enseignements : une période d’observation assez courte, mettre en place des personnes clés, étudier les process par nous-mêmes et identifier rapidement les améliorations possibles.

PAA : Qu’est-ce que vous recherchez dans une opération de croissance externe ?

CP : Ce qui nous intéresse, c’est d’aller chercher des compétences, des métiers, des savoir-faire, des techniques dans les sociétés ciblées et que nous n’avons pas. Rechercher des parts de marché n’a jamais été notre objectif.

Pourquoi avons-nous choisi ces entreprises ? Nous sommes sur une logique d’intégration de la valeur. Un courtier grossiste est un « animal hybride » qui conçoit des produits d’assurance en les négociant auprès du marché, qui package une offre et qui la propose aux acteurs de la distribution. Nous nous positionnons entre le courtage et les compagnies d’assurance avec une brique essentielle au milieu : la gestion. L’objectif du rachat de CGRM, par exemple, c’était d’intégrer la gestion dans la chaine de valeur. Grâce à la gestion, nous réglons les sinistres, nous avons désormais la relation avec le client, nous collectons de la data. Avec CGRM, nous intégrons la chaine de valeur : c’est un mouvement essentiel pour nous. Nous ne souhaitions pas proposer de solutions en assurance de personnes sans gérer par nous-mêmes.

Pour 2A et OVA (OnVousAssure.com), il s’agissait d’opérations « amont » : c’est de la vente. L’objectif était d’intégrer chez nous une brique « vente à distance » pour des produits de SPVie et d’autres opérateurs. Nous sommes, en outre, sur une « verticale » produits : santé et prévoyance. Chez SPVie, nous sommes concepteurs de produits, nous les commercialisons et nous en réalisons la gestion. Nous sommes ainsi présents sur toute la chaine de valeur.

Réaliser ces opérations est un accélérateur de croissance à l’évidence : nous sommes passés de 49M€ à 90M€ de commissions en cinq ans. Nous avons fait l’acquisition d’un métier, celui de gestionnaire, d’expertises différentes et de points de commissions.

PAA. Et l’accroissement de la rentabilité comme élément moteur d’une acquisition ?

CP. C’est un point important mais ce n’est jamais immédiat. Si vous voulez rechercher des synergies, il faut accepter de détruire de la valeur dans un premier temps. Comment ? La fusion des systèmes d’information fait appel à un investissement important. L’intégration implique aussi des coûts en ressources humaines : il faut s’attendre à gérer des départs et de nouveaux recrutements. Une fois cette étape passée, la rentabilité vient.  C’est pour cela que l’intégration ne doit pas être faite dans la précipitation mais il faut la faire assez rapidement. Retarder l’intégration, c’est retarder l’investissement donc retarder le retour sur investissement. 

Certains de nos confrères ont fait le choix d’acquérir des sociétés et de les laisser comme elles sont. Les entités ne sont pas fusionnées : c’est une autre stratégie qui permet d’atteindre rapidement un niveau satisfaisant de rentabilité en additionnant les performances des différentes entités. Mais, selon nous, constituer un groupe en intégrant les entités permet de dégager une rentabilité bien plus forte à terme.

PAA. Avec le recul, quels sont selon vous les facteurs de réussite d’une opération de croissance externe ?

CP. Dans l’étude d’une acquisition, il faut se demander quel est le sens de l’opération. Est-elle un accélérateur de croissance ? Avec un peu de méthode, de l’énergie et du bon sens, on y arrive toujours. En revanche, il faut s’astreindre à rechercher le sens d’une acquisition : il faut lui trouver un effet multiplicateur.

Dans nos relations avec le cédant, aussi, il est nécessaire de partager une vision et avoir une confiance réciproque. Si le cédant intègre le groupe par la suite, les visions doivent se rencontrer. Aussi, le dirigeant doit accepter de perdre le pouvoir.